CHCFE_24Intervention de Prof. Claire, Giraud-Labate, membre du comité d’organisation du projet “Cultural Heritage Counts for Europe”, lors de la conférence finale du project le 12 juin 2015 à Olso.

Que peut-on apprendre de cette expérience partagée durant ces deux dernières années ? Quelles réflexions peut nous inspirer ce projet collectif ? Dans le bref temps qui nous est imparti, je voudrais faire quelques rappels élémentaires et néanmoins essentiels autour de 3 points.

1.     Le processus est aussi important que les résultats

2.     La prise en compte de la diversité et des disparités

3.     De l’étude à l’action : promouvoir une démarche collaborative

 

1. Le processus est aussi important que les résultats

Pour illustrer mon propos, je voudrais utiliser une métaphore : le franchissement d’un fleuve sur une pont reliant 2 rives (données / recommandations) dans un paysage complexe (le contexte).

Avant de s’aventurer en territoire inconnu ou même très familier, il convient de s’accorder avant de démarrer le projet : Quelle est la situation ? Quel problème se pose ? Qui sommes-nous ? Que regarde-t-on ? Avec quels moyens ? Quels atouts et quelles contraintes ?

Le thème qui invite à une réflexion, se transforme par la suite au fil des recherches en objet construit, élaboré et problématisé. Ce processus même entraîne un rapport changeant au sujet à traiter. Cela suppose de garder l’esprit ouvert pour ne pas s’enfermer dans les hypothèses de travail formulées au départ. Bien regarder, analyser « notre paysage » exige de veiller à maintenir une distance adéquate par rapport au sujet, d’éviter une proximité ou un éloignement excessifs. Cette distance critique, qui est constitutive de tout travail de chercheur, est particulièrement importante à respecter dans le domaine culturel qui rime souvent avec passion et implication, goût et dégoût. En effet chacun, en tant qu’être humain, a déjà un point de vue, des préjugés qui donnent à penser que sa propre vision est « naturelle », va de soi. Or, il n’en est rien.

Dans le cas présent, qui consiste en un mapping assorti de recommandations, un temps de recul s’impose également avant de passer d’une rive à l’autre, entre la phase de collecte et de synthèse des données et le temps de l’action qui va exploiter ces résultats.

 

 2. « l’Unité dans la Diversité » : Prendre en compte la diversité et les disparités

La recherche traduit tout d’abord la diversité du patrimoine et des situations relevées. Cette diversité caractérise aussi le Consortium du projet « Cultural Heritage Counts for Europe » et le comité de pilotage qui comprenait des chercheurs, jeunes et seniors, issus de plusieurs  disciplines, des responsables de structures patrimoniales ou de réseaux, de différentes nationalités et de culture. Intégrée dans le processus de réflexion, cette diversité d’approche s’avère féconde si on accorde le temps nécessaire à l’échange et à la maturation du dialogue interculturel.

Comme vient de l’évoquer le Prof. Purchla, le projet a aussi a mis en évidence des différences et des disparités entre l’Est et l’Ouest (regards sur le patrimoine, enjeux, priorités, moyens, méthodes). Cette réalité s’est d’ailleurs traduite concrètement dans la conduite du projet par la répartition de l’étude entre deux équipes, l’une de de Pologne et l’autre de Belgique.

Cependant, en rebattant les cartes, en changeant de focale, d’autres différences de diverses natures ainsi que des disparités auraient des chances d’apparaître, surtout dans un tel projet international. En effet, toute recherche sur le patrimoine porte avec elle sa propre culture, dans un temps et un espace donnés. Cette culture est-elle intériorisée ? Le patrimoine fait-il l’objet d’un consensus ? Quelle interprétation en est proposée et selon quelle grille de lecture ? Bien souvent les réalités différent derrière un vocabulaire commun (patrimoine, identité, interprétation, approche holistique, gouvernance, démarche participative, évaluation, etc.) ce qui appelle à clarifier et à expliciter les concepts utilisés.

Facteur de complexité, cette diversité polymorphe est donc un atout à la condition de la prendre en compte. Il serait dommageable pour le patrimoine européen et pour les politiques mises en œuvre, d’en faire abstraction.

 

 3. De l’étude à l’action : promouvoir une démarche collaborative

Les résultats de l’étude nous ont inspiré une série de recommandations. Il me semble que chacun ici, sur son propre terrain, en fonction de ses activités et priorités, peut se saisir d’une ou plusieurs préconisations et contribuer à les concrétiser.

Par exemple, comme universitaire et chercheur, je voudrais mettre l’accent sur la recherche et la formation dans le secteur culturel et patrimonial. Nous serons tous d’accord sur l’enjeu que ce double volet représente pour l’Europe. Ici, au moment où nous remettons entre vos mains cette étude qui a vocation à être très largement diffusée, je souhaite me prononcer en faveur développement de la recherche fondée sur un équilibre entre la rigueur scientifique et son utilité sociale, au service du mieux-être de la société. En d’autres termes, l’enjeu est de s’opposer à la fois au radicalisme de la recherche académique, parfois déconnectée de la réalité, et à l’instrumentalisation de la recherche à des fins politiciennes. L’objectif est de proposer aux décideurs l’analyse d’une situation et les moyens de faire des choix éclairés.

Ce parti étant pris, il convient de soutenir la coopération entre chercheurs et acteurs du patrimoine. Il s’agit, tout en respectant les spécificités et l’éthique de chacun, d’enrichir la connaissance d’un territoire ou d’un problème par le croisement des regards et la réciprocité des échanges.

Cela suppose de :

  • mieux informer les acteurs du secteur du patrimoine (élus, décideurs, faiseurs d’opinion, chercheurs, responsables de structures privées ou publiques, société civile, etc.) et des secteurs voisins (culture, économie, environnement, secteur social notamment) sur l’actualité européenne de la culture (communication 2014, déclaration de Namur, etc. citées dans la 1ère partie du rapport)
  • favoriser l’articulation entre les niveaux de territoire (régional, national, européen) par la sensibilisation, l’information et la formation de toutes les parties prenantes
  • proposer et diffuser largement aux chercheurs des programmes pertinents sur des problématiques actuelles ou émergentes
  • développer des échanges transdisciplinaires entre chercheurs (seniors & juniors) sur des problématiques communes et plusieurs niveaux de territoire
  • former de groupes de recherche pluridisciplinaires et / ou internationaux (élaborer, confronter, évaluer concepts, méthodes, modèles, indicateurs, résultats)
  • Rendre accessibles au plus grand nombre les résultats de la recherche, c’est-à dire diffuser largement et rendre la matière compréhensible
  • instaurer le cadre favorable à un dialogue régulier fondé sur une relation de confiance et de respect mutuels
  • promouvoir la formation tout au long de la vie dans le secteur patrimonial
  • préparer des groupes (chercheurs / acteurs) à un travail collectif et pluridiciplinaire, à une approche holistique

De telles expériences sont concluantes dans plusieurs régions (ex. Conférence régionale consultative de la culture / CRCC Pays de la Loire, France). Elles alimentent un mouvement itératif qui ne peut que profiter à une gouvernance plus participative en faveur du patrimoine « qui compte tant pour l’Europe ».